6
Signe divin

 

 

Le matin suivant, Catti-Brie se réveilla dans une somptueuse chambre, dans un lit douillet entouré de draperies en dentelles qui laissaient le lever de soleil saluer son regard endormi. Elle n’était pas habituée à un tel confort, elle n’était pas même pas habituée à dormir si loin du sol.

Elle avait refusé un bain la veille, malgré les promesses d’Alustriel, qui lui avait assuré que les huiles et savons exotiques la recouvriraient de bulles et la détendraient. Pour Catti-Brie, élevée parmi les nains et aussi sensible qu’eux, c’était ridicule et, pire, un aveu de faiblesse. Elle se baignait souvent, certes, mais dans les eaux glacées d’un torrent montagneux et sans huiles odorantes importées de contrées lointaines. Drizzt lui avait dit que les elfes noirs étaient capables de suivre un ennemi à son odeur à des kilomètres dans les cavernes tortueuses de l’Outreterre, il lui semblait donc stupide de s’enduire d’huiles aromatiques et d’ainsi peut-être aider ses ennemis.

Ce matin-là, toutefois, avec les rayons du soleil tombant en cascade sur les rideaux vaporeux et le bassin de nouveau rempli d’une eau fumante, elle se mit à réfléchir.

— Vous êtes vraiment têtue, accusa-t-elle, Alustriel en silence comprenant que cette vapeur était sans doute due à la magie de la Dame.

Elle considéra les fioles alignées et songea à l’interminable route poussiéreuse qui l’attendait, à ce périple dont elle ne reviendrait peut-être jamais. Quelque chose monta alors en elle, comme un besoin de céder à ses envies, juste une fois. Avant que son côté pragmatique reprenne le dessus, elle se déshabilla et s’installa dans le bassin, tandis que d’épaisses bulles éclataient autour d’elle.

Dans un premier temps, elle ne cessa de regarder en direction de la porte, puis elle se laissa aller dans la baignoire, parfaitement détendue, la peau chaude et parcourue de picotements.

— Je te l’avais bien dit.

Catti-Brie, qui s’était presque rendormie, se redressa en sursaut, avant de se rallonger aussitôt, gênée, quand elle remarqua que Dame Alustriel était accompagnée d’un nain bizarre, à la barbe et aux cheveux blancs et portant des vêtements lâches en soie.

— À Castelmithral, on a l’habitude de frapper avant d’entrer dans la chambre de quelqu’un, fit remarquer Catti-Brie, reprenant un peu de sa dignité.

— J’ai frappé, répondit Alustriel. Tu étais perdue dans la chaleur de ton bain.

Catti-Brie dégagea ses cheveux mouillés de son visage et laissa dans la manœuvre une bonne quantité de mousse sur sa joue. Elle parvint à conserver son orgueil et à ne pas y faire attention quelques instants, puis elle l’ôta d’un geste rageur.

Alustriel sourit légèrement.

— Vous pouvez vous retirer, lâcha la jeune femme à la dame digne.

— Drizzt se rend en effet à Menzoberranzan, déclara cette dernière. (Catti-Brie se redressa de nouveau, angoissée, sa gêne balayée par cette importante nouvelle.) Je me suis aventurée dans le monde des esprits la nuit dernière. On y trouve beaucoup de réponses. Drizzt est passé au nord de Lunargent, par le Boilune, et a filé en droite ligne vers les montagnes qui entourent le col de l’Orque défunt. (Catti-Brie demeura interloquée.)

» C’est par là-bas qu’il a pour la première fois quitté l’Outreterre, dans une grotte située à l’est de ce col légendaire. Je suppose qu’il va y retourner par le même chemin.

— Conduisez-moi là-bas, demanda la jeune femme en se levant, trop attentive pour songer à la pudeur.

— Je te fournirai des montures, dit Alustriel, qui lui tendit une épaisse serviette. Des chevaux enchantés qui te permettront de progresser à grande vitesse. Ce trajet ne devrait pas te prendre plus de deux jours.

— Vous ne pouvez pas m’y envoyer instantanément grâce à votre magie ? s’étonna Catti-Brie sur un ton dur, comme si elle soupçonnait Alustriel de ne pas faire tout son possible pour l’aider au mieux.

— Je ne sais pas où se trouve cette grotte, expliqua la dame aux cheveux d’argent.

Catti-Brie cessa de se sécher et faillit lâcher ses vêtements, qu’elle avait rassemblés, et lui jeta un regard vide et désespéré. Et Alustriel d’ajouter, une main levée pour rassurer son invitée :

— C’est pourquoi je suis venue avec Fret.

— Fredegar Cassepierre, rectifia le nain d’une étrange voix mélodieuse, avant de balayer du bras l’air de façon théâtrale et de s’incliner gracieusement.

Catti-Brie se fit la réflexion qu’il ressemblait à un elfe piégé dans un corps de nain, puis elle fronça les sourcils en l’observant de plus près ; elle avait fréquenté des nains toute sa vie mais n’en avait jamais rencontré de ce genre. Sa barbe était soigneusement taillée, sa robe parfaitement propre et sa peau n’était pas marquée par la dureté ou le caractère rocailleux typique de sa race. Elle estima qu’il s’agissait là d’une conséquence d’un abus de bains et d’huiles parfumées et jeta un regard méprisant sur la baignoire qui fumait encore.

— Fret faisait partie du groupe qui a le premier repéré Drizzt hors de l’Outreterre poursuivit Alustriel. Une fois celui-ci parti, ma sœur curieuse et ses compagnons ont remonté la piste du drow et localisé la grotte, l’entrée des profonds tunnels. (Elle marqua une longue pause avant de poursuivre, sur un ton et avec une expression qui trahissaient son inquiétude pour Catti-Brie.) J’hésite à t’en indiquer le chemin.

Les yeux bleus de Catti-Brie se plissèrent, puis elle enfila rapidement son pantalon. Elle n’allait pas se laisser regarder de haut, pas même par Alustriel, et ne laisserait pas les autres décider de ses actes.

— Je vois, dit la Dame en hochant la tête.

Qu’elle ait si vite saisi ses intentions figea Catti-Brie.

Alustriel enjoignit d’un geste à Fret de récupérer le sac de Catti-Brie. Un air revêche se dessina sur le visage du nain soigné quand il approcha de cet objet crasseux, qu’il souleva prudemment du bout de deux doigts. Il jeta un regard suppliant à sa maîtresse puis, voyant qu’elle ne prenait même pas la peine de se tourner vers lui, il quitta la chambre.

— Je ne vous ai pas demandé de compagnon de voyage, lâcha brusquement Catti-Brie.

— Fret te servira de guide jusqu’à l’entrée, pas plus loin. Ton courage est admirable, bien qu’un peu aveugle.

Alustriel disparut avant que la jeune femme trouve les mots pour lui répondre.

Catti-Brie resta debout quelques instants, des gouttelettes d’eau ruisselant de ses cheveux mouillés sur son dos nu, puis chassa la sensation de n’être qu’une petite fille dans un monde immense et dangereux, d’être véritablement minuscule à côté de la grande et puissante Dame Alustriel.

Néanmoins ses doutes persistèrent.

Deux heures plus tard, après un bon repas et une vérification de leurs provisions, Catti-Brie et Fret quittèrent Lunargent par la porte est, la porte de Sundabar, accompagnés par Alustriel et un groupe de soldats, lesquels se tenaient à une distance respectueuse de leur souveraine tout en ouvrant l’œil.

Une jument noire et un poney gris au poil hirsute attendaient les deux voyageurs.

— Est-ce indispensable ? demanda Fret, peut-être pour la vingtième fois depuis qu’ils avaient quitté le château. Une carte détaillée ne suffirait-elle pas ?

Alustriel ne répondit que par un sourire. Fret avait en horreur tout ce qui était susceptible de le salir comme tout ce qui l’éloignait de son devoir de conseiller préféré d’Alustriel. La route qui s’enfonçait dans les étendues sauvages, jusqu’au col de l’Orque défunt, rentrait à coup sûr dans ces deux catégories.

— Ces fers à cheval sont enchantés ; vos montures fileront comme le vent, expliqua Alustriel à Catti-Brie, avant de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule en direction du nain qui grommelait.

Catti-Brie ne fit aucun effort pour répondre et ne remercia pas la souveraine pour son aide. Elle ne lui avait pas adressé la parole depuis leur discussion, en début de matinée, et s’était comportée d’une façon clairement froide.

— Avec un peu de chance, tu parviendras à la grotte avant Drizzt, poursuivit Alustriel. Raisonne-le et convaincs-le de rentrer, je t’en prie. Sa place n’est plus en Outreterre.

— C’est à lui de décider où est sa « place », rétorqua Catti-Brie, qui, en réalité, sous-entendait que c’était à elle de décider de la sienne.

— Bien entendu, convint la Dame de Lunargent, qui lui adressa de nouveau ce sourire : ce rictus entendu qui donnait à Catti-Brie la sensation d’être rabaissée. Je ne t’empêche pas de faire quoi que ce soit. J’ai fait de mon mieux pour t’aider en fonction de ton choix, sans tenir compte du fait que je l’estime judicieux ou non.

— Il fallait que vous ajoutiez cette dernière pique, dit Catti-Brie, après avoir poussé un soupir méprisant.

— Ne suis-je pas autorisée à avoir mon opinion ?

— Si, vous pouvez même la donner à tous ceux qui voudront l’entendre.

Bien que comprenant les raisons du comportement de la jeune humaine, Alustriel fut profondément surprise.

Catti-Brie soupira encore et éperonna sa jument, qui se mit à avancer au pas.

— Tu l’aimes, dit Alustriel.

Totalement surprise, Catti-Brie tira violemment sur les rênes afin d’immobiliser sa monture et lui fit effectuer un quart de tour.

— Le drow, ajouta la Dame, davantage pour insister sur sa dernière phrase et révéler son sentiment sincère que pour clarifier quelque chose qui ne nécessitait de toute évidence aucune explication.

Catti-Brie se mordit la lèvre, comme si elle cherchait quelque chose à répondre, puis remit brusquement sa monture dans le sens de la marche et l’éperonna.

— La route est longue, geignit Fret.

— Alors dépêche-toi de revenir, lui dit Alustriel. Avec Catti-Brie et Drizzt.

— Comme vous voudrez, ma Dame, répondit docilement le nain, avant de lancer son poney au galop. Comme vous voudrez.

Alustriel resta longtemps à la porte est, bien après le départ des deux voyageurs. C’était un des moments, pas si rares que cela, où la Dame de Lunargent regrettait le poids des responsabilités du gouvernement. Elle aurait sincèrement préféré attraper elle aussi un cheval et partir avec Catti-Brie, quitte à s’aventurer en Outreterre si nécessaire, pour retrouver l’étonnant drow qui était devenu son ami.

Mais elle n’en ferait rien. Après tout, Drizzt Do’Urden n’était qu’un pion parmi une infinité d’autres dans le vaste monde, un monde qui demandait sans cesse audience à la cour surchargée de la Dame de Lunargent.

— Bonne chance, fille de Bruenor, murmura la magnifique femme aux cheveux argentés. Bonne chance et adieu.

 

* * *

 

Drizzt fit ralentir sa monture sur la piste caillouteuse qui grimpait dans la montagne. La brise était chaude et le ciel clair mais un orage avait frappé la région quelques jours auparavant et le sentier était encore légèrement boueux. Finalement, de crainte que son cheval glisse et se brise une jambe, il en descendit et ouvrit prudemment la route pour l’animal.

Il avait aperçu l’elfe qui le filait à plusieurs reprises ce matin-là. En effet, les pistes étaient plutôt dégagées et les deux cavaliers étaient rarement éloignés l’un de l’autre, du fait des incessantes descentes et ascensions. Aussi Drizzt ne fut-il pas particulièrement surpris quand, au détour d’une courbe, il vit son poursuivant approcher par une piste parallèle.

L’elfe à la peau pâle marchait également devant sa monture et adressa un signe de tête approbateur à Drizzt quand il vit que ce dernier faisait de même. Il s’arrêta, encore à cinq mètres du drow, comme s’il ne savait pas comment réagir.

— Si tu me suis pour surveiller le cheval, tu ferais aussi bien de chevaucher, ou marcher, à mes côtés, dit Drizzt. (L’elfe acquiesça de nouveau et fit avancer son étalon noir jusqu’à se porter à la hauteur de la monture noir et blanc de Drizzt, qui jeta un regard devant lui, sur la piste qui montait vers la montagne.) Je n’aurai plus besoin du cheval à partir de ce soir. Je ne sais même pas si je l’utiliserai encore aujourd’hui, à vrai dire.

— Tu n’as pas l’intention de revenir de ces montagnes ? demanda l’elfe.

Drizzt se passa la main dans sa chevelure blanche lâchée, surpris par le caractère irrévocable de cette remarque, ainsi que par sa pertinence.

— Je cherche un bosquet, non loin d’ici, qui fut autrefois la demeure de Montolio DeBrouchee, dit-il.

— Le rôdeur aveugle.

Drizzt fut étonné que l’elfe ait su de qui il parlait. Il l’observa attentivement ; rien chez l’elfe de la lune n’indiquait qu’il soit un rôdeur, et pourtant il connaissait Montolio.

— Il est logique que le nom de Montolio DeBrouchee ait survécu dans les légendes, estima-t-il à voix haute.

— Qu’en est-il de celui de Drizzt Do’Urden ? dit l’elfe de la lune, décidément surprenant, avant de sourire devant l’expression du drow. Eh oui, je te connais, l’elfe noir.

— Tu as dans ce cas un avantage sur moi, fit remarquer Drizzt.

— Je m’appelle Tarathiel. Ce n’est pas un hasard si nous nous sommes montrés lors de ta traversée du Boilune. Quand le petit clan dont je fais partie a découvert que tu avais des projets, nous avons décidé qu’il serait mieux pour toi de rencontrer Ellifain.

— La jeune femme ?

Tarathiel opina du chef, ses traits presque translucides sous les rayons du soleil.

— Nous ne savions pas comment elle réagirait face à un drow. Nous te présentons nos excuses.

Drizzt les accepta d’un signe.

— Elle n’appartient pas à ton clan, devina-t-il. Ou du moins, ce n’était pas le cas du temps de sa jeunesse. (Tarathiel ne répondit pas et l’air curieux qui se dessina sur son visage montra à Drizzt qu’il se trouvait sur la bonne voie, ce qui l’encouragea à poursuivre, malgré ses craintes de la confirmation attendue :) Son peuple a été massacré par des drows.

— Qu’en sais-tu ? s’enquit Tarathiel, dont la voix avait, pour la première fois, pris une nuance dure.

— Je faisais partie de ce raid, reconnut Drizzt. (Tarathiel porta la main à son épée mais Drizzt, vif comme l’éclair, lui bloqua le poignet.) Je n’ai tué aucun elfe. Les seuls que j’avais envie de combattre étaient ceux qui m’avaient accompagné à la surface.

Les muscles de Tarathiel se décontractèrent et il ôta sa main de son arme.

— Ellifain ne se souvient que très peu de cette tragédie. Elle en parle plutôt dans ses rêves qu’en journée, et alors elle tient des propos peu cohérents. (Il marqua une pause et regarda Drizzt droit dans les yeux.) Elle parlait d’un regard violet. Nous ne savions pas quoi faire de ce détail. Quand nous l’interrogions, elle était incapable de fournir de réponse. Le violet n’est pas une couleur très courante pour des yeux drows, d’après nos légendes.

— En effet, confirma Drizzt, la voix distante alors qu’il se remémorait cette affreuse journée si lointaine.

C’était bien l’elfe ! Celle pour qui le jeune Drizzt Do’Urden avait tout risqué, celle dont le regard lui avait montré sans le moindre doute que la façon de vivre des siens ne correspondait pas à ce que ressentait son cœur.

— Ainsi, quand nous avons entendu parler de Drizzt Do’Urden, un ami drow – aux yeux violets – du roi nain qui avait reconquis Castelmithral, nous avons estimé qu’il serait mieux pour Ellifain d’affronter son passé, expliqua Tarathiel.

Drizzt hocha vaguement la tête, encore plongé dans le passé.

L’elfe de la lune n’insista pas. Apparemment, Ellifain n’avait pas été loin d’être anéantie par la vision de son passé.

Il refusa ensuite de quitter Drizzt quand celui-ci lui demanda de repartir avec les deux chevaux. Ils se retrouvèrent donc, un peu plus tard ce jour-là, chevauchant ensemble sur une piste étroite sur un haut col, un chemin dont Drizzt se souvenait parfaitement. Il pensait à Montolio, Mooshie, son mentor de la surface, le vieux rôdeur aveugle, qui savait tirer à l’arc grâce à l’aide du ululement de sa chouette. C’était lui qui avait fait découvrir au jeune Drizzt une déesse incarnant les émotions qui s’agitaient dans son cœur, ainsi que les préceptes qui guidaient la conscience du drow renégat. Il s’agissait de Mailikki, la Dame de la Forêt, et depuis l’époque où il avait vécu avec Montolio, Drizzt Do’Urden n’avait cessé de suivre ses conseils silencieux.

Drizzt sentit un flux d’émotions monter en lui quand la piste s’écarta de la crête et grimpa davantage à travers une zone de rochers brisés. Il était terrifié à l’idée de ce qu’il allait trouver. Peut-être une horde d’orques – ces misérables humanoïdes étaient bien trop nombreux dans la région – avait-elle investi le merveilleux bosquet du vieux rôdeur. Et s’il avait été ravagé par un incendie, qui n’aurait laissé qu’une cicatrice désolée sur la terre ?

Ils atteignirent un épais taillis d’arbres et poursuivirent leur route sur une piste étroite mais bien tracée, Drizzt en tête. Il vit un peu plus loin le bois s’éclaircir puis, au-delà, un petit champ. Il arrêta son cheval et se retourna vers Tarathiel.

— Le bosquet, expliqua-t-il en descendant de sa monture, aussitôt imité par l’elfe de la lune.

Ils attachèrent les bêtes dans le taillis et se glissèrent, côte à côte, jusqu’à l’orée du bois.

Le bosquet de Mooshie mesurait peut-être soixante mètres de profondeur, du nord au sud, et la moitié en largeur. De grands pins s’élevaient vers le ciel – aucun incendie n’avait sévi ici – et les ponts en corde mis en place par le rôdeur aveugle étaient encore visibles, courant d’arbre en arbre, à différentes hauteurs. Le petit mur de pierres était lui aussi intact, il n’y manquait pas un caillou, tandis que l’herbe était basse.

— Quelqu’un vit ici, en déduisit Tarathiel, cet endroit n’étant de toute évidence pas retourné à l’état sauvage.

Quand il se retourna vers Drizzt, il vit que ce dernier, la mine sinistre, avait dégainé ses cimeterres, dont l’un brillait d’une douce lueur bleuâtre.

Il encocha une flèche dans son grand arc et ne tarda pas à suivre le drow, qui avait quitté le buisson et s’était approché en un éclair du mur de pierres.

— J’ai repéré de nombreuses traces d’orques depuis que nous sommes entrés dans la montagne, murmura-t-il après un hochement de tête, tout en tendant la corde de son arme. On y va ? Pour Montolio ?

Drizzt acquiesça à son tour et se dressa pour voir par-dessus le mur. Il s’attendait à voir des orques, qui deviendraient peu après des orques morts.

Il se figea et se bras tombèrent mollement contre ses flancs, tandis qu’il avait soudain du mal à respirer.

Tarathiel lui donna un coup de coude, en quête d’une explication, puis, n’en voyant aucune venir, il se leva lui aussi.

Il ne vit rien dans un premier temps mais il suivit le regard fixe de Drizzt, tourné vers le sud, en direction d’une petite trouée dans les arbres, où une branche bougeait, comme si elle venait d’être effleurée par quelque chose. Tarathiel aperçut un éclat blanc dans les ombres, un peu plus loin. Un cheval, songea-t-il.

L’animal sortit de l’obscurité ; un puissant coursier à la robe d’un blanc étincelant et dont les yeux, extraordinaires, luisaient d’un rose embrasé. Enfin, son front était paré d’une corne d’ivoire, qui mesurait facilement la moitié de la taille de l’elfe. La licorne regarda en direction des compagnons, tapota le sol et s’ébroua.

Tarathiel eut la bonne idée de se baisser et de tirer Drizzt, toujours stupéfait, près de lui.

— Une licorne ! articula-t-il en silence au drow.

Drizzt porta instinctivement la main sous sa cape de voyage et empoigna le pendentif en forme de tête de licorne que Régis lui avait sculpté dans un os de truite.

Tarathiel désigna l’épais taillis et suggéra qu’ils feraient mieux de s’en aller, ce à quoi le drow répondit en secouant la tête. Ayant retrouvé son calme, Drizzt jeta un nouveau coup d’œil par-dessus le mur.

L’endroit était déserté, sans aucun signe trahissant la proximité de la licorne.

— Partons d’ici, dit Tarathiel dès qu’il se rendit lui aussi compte que le puissant coursier s’était éloigné. Sois satisfait de voir le bosquet de Montolio bien entretenu.

Drizzt s’assit sur le mur, les yeux rivés sur les pins entremêlés. Une licorne ! Le symbole de Mailikki, le symbole le plus pur du monde naturel. Il n’existait pas, aux yeux d’un rôdeur, d’animal plus parfait, et pour Drizzt, il ne pouvait se trouver de meilleur gardien pour le bosquet de Montolio DeBrouchee. Il aurait aimé rester ici quelque temps, il aurait adoré apercevoir encore la créature insaisissable, mais il n’ignorait pas que le temps pressait et que les sombres tunnels l’attendaient.

Il adressa un sourire à Tarathiel et se retourna pour quitter cet endroit… et vit le chemin qui traversait le petit champ bloqué par la puissante licorne.

— Comment a-t-elle fait ça ? dit Tarathiel.

Il était désormais inutile de chuchoter, l’animal les observant tout en en frappant le sol et en agitant la tête.

— Il, rectifia Drizzt, qui avait remarqué la barbe blanche de la bête, caractéristique de la licorne mâle.

Une pensée lui traversa l’esprit ; il glissa ses cimeterres dans leurs fourreaux et, d’un bond, quitta le mur.

— Comment a-t-il fait ça ? se reprit Tarathiel. Je n’ai pas entendu de bruit de sabots. (Les yeux de l’elfe de la lune se mirent soudain à briller et il regarda de nouveau vers le bosquet.) Ou alors ils sont plusieurs !

— Il n’y en a qu’un seul, assura Drizzt. La licorne est un animal quelque peu magique et celle-ci l’a prouvé en se glissant derrière nous.

— Va vers le sud, murmura Tarathiel. Je partirai vers le nord. Si nous ne menaçons pas cet animal… (Il s’interrompit, voyant que le drow s’éloignait déjà du mur.) Fais attention. Les licornes sont magnifiques mais on les dit dangereuses et imprévisibles.

Drizzt leva une main pour ordonner le silence à l’elfe et continua à avancer d’un pas lent. La licorne hennit et agita brusquement sa tête massive, ce qui fit voler sa crinière. Puis elle fit claquer un sabot contre le sol, ce qui creusa un trou de bonne taille dans la terre.

— Drizzt Do’Urden, avertit Tarathiel.

En toute logique, Drizzt aurait dû faire demi-tour. La licorne aurait pu facilement le renverser et l’écraser sur la prairie, or l’immense animal semblait de plus en plus nerveux à chaque pas du drow.

Toutefois, la bête ne prit pas la fuite, pas plus qu’elle ne baissa sa grande corne en vue d’embrocher Drizzt, qui se trouva bientôt à seulement quelques pas d’elle, avec la sensation d’être minuscule comparé au splendide coursier.

Il tendit la main, lentement, avec délicatesse, et sentit les poils externes de l’épaisse robe brillante, puis avança encore d’un pas et caressa le cou musclé de la licorne.

Le drow respirait à peine. Il aurait tant aimé que Guenhwyvar se trouve à ses côtés pour admirer cette merveille de la nature. Il regrettait également l’absence de Catti-Brie, qui aurait tout autant que lui apprécié cette vision.

Il se retourna vers Tarathiel, qui, assis sur le mur, souriait avec contentement. Quand il afficha soudain une expression de surprise, Drizzt se retourna et vit que sa main balayait l’air.

La licorne était partie.

Nuit sans étoiles
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